vendredi, janvier 23, 2009

Jazz magazine ou la fine oreille plaisir des ziziques évolutives et narratives


Jazz magazine ou la fine oreille plaisir des ziziques évolutives et narratives Dernièrement, je me suis plongée dans deux numéros décapants de la revue Jazz magazine qui consacraient des dossiers à Frank Zappa et Christian Vander (Magma). Les deux versants de l’Océan Atlantique et les relents des talents qui ont révolutionné les phrases des ondes musicales, de ces quatre dernières décennies. On en ressent encore le tsunami et c’est tellement bon que j’en croque pour ces musiques !


Le Bartos me racontait comment il avait invité un jour Guy Darol à conférencer dans le cadre d’une association d’échanges de savoirs où le Franckos sévissait sur fond d’atelier d’écritures style Papous dans la tête (France Culture), au fin du fin fond de la Brie (77), il y a déjà bien longtemps. Et comme de bien entendu, déjà à l’époque Frank Zappa déroula la mécanique de ses fluides musicaux par la voix de Guy. Le public bonnard et ouvert d’esprit se découvrit une appétence musicale peu banale. Encore merci Guy !
Dernièrement, quelle ne fut pas ma surprise à peine feinte lorsque je lus que le Guy avait participé et même animé un débat entre grosses pointures, pas moins du 46 guitarme de charme éclectique pour la revue Jazz magazine !
« A poil le jazz ! », ça débutait très fort l’édito de Franck Bergerot qui connaît la musique et ne se contente pas d’un rot comme maintes rédacteurs de revue spécialisées qui n’acceptent aucun pet de travers au cul de leurs sujets Dès 1967 en concerts le Zappa avait de l’apostrophe à l’attention de son public : « Retire tes vêtements quand tu danses ». « Quelle est la partie la plus horrible de ton corps ? ». C’est donc à poil dans ma tenue de prédilection telle la bête fauve que je suis durant les 12 mois de l’année, que je tournais les pages de ce numéro et me régalais les mirettes à déchiffrer l’intention de cette revue qui titrait en couverture provocatrice sus aux puristes : « Zappa Faux rockeur ou vrai jazzman ? ».
Octobre 69, année érotique, tu m’es stone, et Charden à la poubelle. Ils étaient fous ces belges d’inviter sur la scène du festival d’Amougies, des groupes comme Pink Floyd, l’Art Ensemble of Chicago, Ten Years After, Archie Shepp, Gong, Don Cherry, The Pretty Things, Soft Machine et j’en passe des meilleurs du rock / jazz et autres déjà inclassable à cette époque riche en épopées musicales. De ce grand cirque des décibels à ciel ouvert, Frank Zappa en personne soufflait sur les braises des notes rebelles en présentant les groupes et en jammant avec eux comme un amant exquis. Rien de tel pour que les frontières des genres et des styles escamotent leurs réverbérations et bastonnent les géographies physiques des alchimies musicales en vigueur. Sous le titre « Un rockeur qui fait jaser », Guy Darol excellent animateur de la table ronde, donne le la aux voix majestueuses et connaisseuses du sujet (Glenn Ferris / Jean-Luc Rimey-Meille / Pierrejean Gaucher et Christophe Delbrouck). Je vous livre un florilège allégé des propos tenus : « Mais sa première rencontre avec un jzzman date de 1962. A la fin d’un concert de Miles Davis, Zappa va dans les loges pour le féliciter et Miles lui tourne le dos. Il en déduit qu’il n’a plus rien à faire avec les jazmen ». / « Ce qui l’ennui dans le jazz, c’est son côté académique. Zappa a toujours préféré les musiciens qui cassaient les barrières ». / « Il adorait le jazz, s’entourait de musiciens de jazz, mais c’était un rocker doublé d’un génie, ce qui le poussait à aller toujours au-delà. » / « Il faut toujours se souvenir de cette phrase qu’il aimait répéter : Je suis un compositeur de musique sérieuse qui joue de la guitare avec un groupe de rock pour gagner ma vie ». « Zappa est très proche de Miles Davis quand il veut faire réagir ses musiciens dans le feu de l’action. » / « Il veut une chose au fond : ne pas jouer sérieusement une musique rigoureusement sérieuse. » / « Zappa était un guitariste qui improvisait comme un jazzman, mais qui n’avait pas la culture du jazz à la guitare ». (…) en pages 22 à 29
Guy exhorte aussi de sa discothèque ces « bruits jazz ». Il analyse et passe sous la grande roue du jazz les morceaux qui peuvent dépasser voir dépayser la somme amère de ce carcan.
Le tromboniste Glenn Ferris nous raconte sa participation au Grand Wazzo et le violoniste Jean-Luc Ponty nous relate la découverte de l’univers de Zappa et son épopée avec Frank. « King Kong » vibre toujours aussi fort dans mes tripes simiesques, mon cher Jean-Luc.


Autre épisode du jazz en ébullition, les aventures des 40ème rugissants, Magma qui fêtera en 2009 ses quatre décennies d’existence : « Magma Christian Vander raconte : Je me noyais dans Coltrane » en couverture du numéro de novembre 2008 de jazz magazine.
En 1980, Ramon Pipin’s Odeurs clamait sur sa pochette « 1980 : No Sex ! », et pour cause, une malheureuse poupée gonflable en manque d’amour je suppose, passait de vie à trépas sous le fil de son rasoir dans sa douche. Il en débouchait une kyrielle de musiciens qui viendront porter l’humour musical à Ramon, dont Stella Vander, Liza Deluxe, Richard Pinhas… proches ou voisins de l’univers de Magma. Plus récemment encore, Klaus Blasquiz se prêta au chant lors du concert Odeurs en public, le 6 mai 2008.
De cet héritage, de cette catharsis musicale, « C’était l’occasion de demander à Anne Ramade et Stéphane fougère spécialistes de Magma et de ces musiques dites progressives apparues à la fin des années 60, de nous aider à y voir plus clair » dixit Franck Bergerot. Même si sans jouer sur le mots, Eric Deshayes et Dominique Grimaud auteurs de « L’underground musical en France »* en connaissent aussi un morceau de choix ! (J’y reviendrai dans une prochaine chronique en 2009).
L’intérêt que je peux porter à l’effervescence Magma touche surtout le fait que comme pour Zappa et toutes les musiques que j’ai choisies de me mirer dans les tympans, elles n’entrent dans aucune catégorie. Je me rappelle une interview de Robert Wyatt pour France Culture qui ne jurait que par « Round Midnight » et une autre de Daevid Allen qui entonnait « So What » de Miles Davis, surtout lorsque l’on sait les dérivés multiples vers lesquels ces musiciens composèrent et composent toujours leur art !
D’autant que mes rapports à Magma étaient plus que conflictuels à l’âge de gros con d’ado boutonneux, me souffle le Bartos qui était. Pétri de l’esprit du Krautrock allemand mais aussi d’humour et de dérision. Les incantations de la bande à Vander Christian l’effrayaient et ne lui déridaient pas les zygomatiques, puisque comme Vander le dit, « on cherchait à réveiller les gens. Les mesures s’enchaînaient. On ne pouvait jamais être tranquille. Theusz Hamtaahk et Wurdah Itah ont été faits assez rapidement, Mëkanik Destruktiv Kömmandöh en était l’aboutissement, le OM. Je disais dans le temps que c’était mon My Favorite Thing à moi. J’avais envie d’entendre ces climats obsessionnels qui n’en finissaient plus et qui me mettaient dans l’état dans lequel j’étais en écoutant My Favorite Things avec le chorus de Coltrane qui s’étale, l’interminable (dans le bon sens du terme) solo de Mc Coy, et cette chanson fantastique ». (page 23)
N’empêche, il lui aura fallu le recul et l’imprégnation musicale nécessaires au Franckos pour pouvoir aborder les rives de la riche histoire de Magma, l’apprécier à sa juste mesure afin de comprendre enfin le joint et le dépassement d’avec les tribulations de la planète jazz. « On n’allait pas refaire la musique de Coltrane, surtout à ce moment là. J’ai préféré faire une musique qui me brûlerait les mains » (Christian Vander). Pigé mec ! Même si encore une touche de sympathie court à la rythmique drolatique du côté de chez « Guigou Chenevrier d’Etron Fou Leloublanc, durant ses solos de batterie, coiffé d’un antique casque militaire, (qui) caricaturait devant son public hilare, les grimaces et mimiques du leader de Magma » (in L’Underground musical en France, page 219).
Alors, peut-on se targuer de dérision avec tout et toutes les musiques cosmiques qui marinent avec le jazz et s’immiscent dans le rock des ébats amoureux fructueux pour nous cracher à la tronche les initiales de ses attributs, sa tribu, sa tribune d’en avant la zizique ? Chiche !
Jazz magazine par ses dossiers très sérieux casse les digues, navigue jusqu’au sémaphore, ne cale pas à la première lame de fond et éclaire notre oreille musicale aux mélanges des styles, à la fusion des genres. On se lave les oreilles. On lit les musiques entre les lignes aux débouchées des jazz qui se jettent dans la mer démontée, affluents des vibrations actuelles et d’hier.
Avec Jazz magazine, c’est à chacun d’évaluer de dévaler les pentes de ses rythmiques, ses chorus et se créer sa propre écoute en connaissance de cause. La cause est toujours bonne à défendre les musiques qui ne ressemblent à aucune autre et qui évoluent comme un cépage du Médoc.

Santé, à boire les notes sans modération et garder en bouche les aromes musicaux. Quel régal !

* Eric Deshayes et Dominique Grimaud L’Underground musical en France, ed. Le Mot et le Reste, novembre 2008


Jazz magazine : Zappa Faux rockeur ou vrai jazzman ? (n°593, juin 2008)
Jazz magazine : Les disciples Les héritiers Les CD cultes MAGMA Christian Vander raconte. « Je me noyais dans Coltrane » (n° 597, novembre 2008)

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