vendredi, décembre 05, 2008

Actualité DVD : « Sa majesté des mouches », film de Peter Brook d’après le roman de William Golding ou la liberté de filmer sans filet





"Si l’on veut rester libre en tant que réalisateur, il faut faire le film le moins cher possible. (…) Aujourd’hui, avec les caméras numériques, cette liberté revoit le jour. C’est la possibilité de faire un film comme on l’entend. Un film est finalement l’œuvre d’un auteur qui est le réalisateur » (Peter Brook, in le Cinéma en liberté, en supplément du DVD)
Frédéric Vignale en tant que réalisateur, je suppose ne contredira pas cette vérité de Peter Brook !



Quand Peter Brook réalise ce premier long métrage noir et blanc en 1963, après une existence déjà riche dans le milieu des planches, inspiré par le Théâtre de la cruauté d’Artaud, il s’attaque à un roman de Golding (1954), pour le moins polémique de part ses multiples pistes de lecture.
Le thème : Suite à la chute sur terre d’un avion contre son grè, une vingtaine d’enfants de la haute société anglaise prennent pied en bonne santé sur une île déserte. Ils s’organisent pour survivre. Mais bientôt, un chef charismatique ne se sent plus bouger les tiques d’avoir à sa botte une petite troupe dévouée à son autorité et c’est la sauvage et violente existence qui prend son fade.
Moi qui suis une Singette indomptée et rebelle, guère éduquée, ce thème me botte, n’en déplaise au Bartos et à tous les humanos qui se réclament à grands cris de la civilisation comme trait d’union.
« C’est un sujet tout à la fois un mythe, c'est-à-dire qu’il dépasse la lourdeur et les limites du naturalisme, mais qui reste proche de la vie réelle. Il ne s’agit pas du mythe au sens abstrait du terme mais d’une chose qui nous touche. En le lisant, j’ai vu que Golding avait choisi de parler d’humanité pas de façon abstraite, mais à travers l’histoire d’enfants ordinaires et reconnaissables vivant une situation peu commune mais plausible. Ils sont naufragés d’une île déserte. C’est une idée remarquable » (Peter Brook, in le Cinéma en liberté, en supplément du DVD).

Là où la littérature s’emberlificote son armure dans la limite des mots, Peter Brook filme avec son équipe réduite à la portion congrue et mobile dans la nature luxuriante à Porto Rico sur l’île de Vieques. Il reste fidèle à Golding en nous offrant des images d’une surprenante réalité. Il confère le caractère des enfants exaltés et chamboulés par leurs pertes de valeurs à se vivre en Robinson cyniques et dangereux pour leurs prochains, au nom d’une improposable captation du mystère de la bête qui hanterait les parages de cette île, dixit le clan majoritaire des chasseurs.
A ce propos et selon une scène d’apothéose qui a dressé les cheveux du cinéaste lorsqu’il l’a tournée. Plus sauvage tu meurs : « Plus tard, arrive la scène du meurtre. Le fait de la tourner de nuit, avec les flambeaux et les sons des tambours a rendu les garçons fébriles. Ils étaient déjà crasseux et ravis d’être dans cet état-là, avec les cheveux emmêlés. Ils n’avaient pas eu accès à la mer pendant des jours. Ces enfants exécutaient soudain une danse guerrière, leurs visages couverts de peinture chantant comme des sauvages. (…) Je me souviens jadis d’avoir pensé quelque chose d’horrible. Si l’on avait pas eu une équipe dévouée d’assistants, qui gardaient les enfants, veillaient sur eux, les contenait pour qu’ils ne deviennent pas sauvage au bout de trois mois, qu’ils fassent seulement semblant, si l’on avait pas eu cette sécurité, j’aurais saisi la réalité de l’histoire de Golding. Dans de vraies conditions, sans doute en moins de temps que Golding leur en avait donné, ils auraient pu sombrer dans une réelle sauvagerie » (Peter Brook, in le Cinéma en liberté, en supplément du DVD).
Peter Brook sous-entend également que seule la culture peut nous permettre de garder le contrôle de nos pulsions et il dénonce aussi la violence mortifère et l’obscurantisme qui peut sévir en cas d’extinction d’une civilisation. Ce sont quelques interprétations parmi tant d’autres ! Une autre analyse liée aux motifs religieux est empruntée à certaines scènes du film. Ne serait-ce que par le titre du film qui est une référence au diable dans la culture anglaise. Trop drôle également, la procession des enfants de chœur à la croix de bois au début du film qui se révèleront des barbares affranchis de leurs dogmes en vénérant un dieu mystérieux, suite à la chasse d’un cochon et au trophée de sa tête plantée sur un pique, digne des prouesses de Vlad Tepes fils de Vlad Drakul qui inspira le personnage de Dracula à B.Stoker. Il y a aussi le personnage de Piggy, le porcinet de sévices du groupe, nommé ainsi pour sa surcharge pondérale, doué de raison et de réflexions et binoclard de surcroît. La guerre du feu passera par les verres de sa monture ou trépassera, c’est Jack du clan des chasseurs qui vous le dit. En revanche, Ralph pose pour une certaine forme de pacifisme démocratique au sein de la communauté et il sera bientôt abandonné du groupe voir chassé au sens trivial du terme.


Après avoir visionné ce film clé de l’île des cauchemars meurtriers, libre à vous de penser ce que vous voudrez. Peter Brook vous laisse la part belle de palabrer à plusieurs et d’échanger à propos des sensations coups de poing dans la gueule à la vue des scènes à l’écran qui ne vous laisseront pas indifférentes. Effets spécieux, spéciaux s’abstenir ! Comme je l’ai déjà dit Peter Brook travaille à la finesse de l’économie, un cinéma léché et de qualité.
Sans compter, la cerise sur le gâteau de Carlotta Films, le cadeau dans sa partie DVD-Rom, outil précieux pour les enseignants qui auraient le désir de se lancer à l’analyse du film en classe. Tous les aspects techniques (montage, story-board du générique, structure narrative, montage…) sont abordés de façon interactive.


« Sa majesté des mouches » (1963), film de Peter Brook, durée du film 87 minutes, DVD octobre 2008, nouveau master restauré, distribué par Carlotta Films, sous-titres français / anglais, noir et blanc, avec James Aubrey / Tom Chapin / Hugh Edwards / Roger Elwin
Suppléments : le cinéma en liberté (32 minutes), dans cet entretien exclusif Peter Brook revient sur son coup de foudre pour le roman de William Golding, la préparation et le tournage du film, et sur la signification de son travail avec une troupe d’enfants
Partie DVD-Rom, élaboré sous la direction d’Alice Vincens (enseignante à l’ESAV Université de Toulouse II) en collaboration avec Dominique Galaup-Pertusa (enseignante à l’IUFM d’Albi), ce DVD-Rom, par son caractère interactif, permet le développement d’analyses croisées et interroge la rencontre du cinéaste Peter Brook avec l’œuvre de William Golding.
Bande-annonce



Egalement entre les pages : « Sa majesté des mouches » de William Golding, éditions Folio junior



Samedi 6 décembre 2008, François Angelier abordera le thème de l’enfance dans on émission Mauvais Genres sur France Culture entre 21 h et 22 h, avec entre autre le film « Sa majesté des mouches ». Qu’on se le dise au fond des chemises les esgourdes à l’écoute attentive !






Aucun commentaire: