mardi, décembre 16, 2008

Les Aventures du prince Ahmed, à la fois conte fantastique et film en silhouettes de Lotte Reiniger qui ravira les petits et grands











Le 2 mai 1926 est projeté pour la première fois sur les écrans à Berlin, Les aventures du prince Ahmed , de la scénariste et réalisatrice Lotte Reiniger. De ce film en silhouettes de papier découpé émergent les personnages filmés en noir et blanc. Les images seront ensuite teintes dans un bain de couleur. Trois ans furent nécessaires à son auteure aux doigts de fée pour créer ce chef d’oeuvre inspiré librement des contes des Mille et une nuits. Enfin, il nous est possible de visionner aujourd’hui en DVD, après une restauration en 1999, la nouvelles version neuve du film recoloré et resonorisé. C’est aussi très certainement l’un des ancêtres du film d’animation. Blanche neige de Walt Disney (1938) à côté peut aller croquer sa pomme et croire au prince charmant. Non, mais franchement !



A raison de plus de 300 000 images animées les unes après les autres à un rythme effréné de 24 images secondes, Lotte Reiniger (1899 / 1981)découpait les doigts dans le nez dans du papier Canson noir les silhouettes au ciseau (animaux, paysages, monstres, personnages…), qu’elle attachait par un clou pour en actionner les membres avec panache, selon le principe des ombres chinoises où seul le profil le plus expressif était pris en compte. Une caméra 16mm était fixée dans les hauteurs à un mur et zoomait plein pot les silhouettes reposant sur une table plaque en verre éclairée avec un éclairage succinct, juste quelques modestes ampoules en contre-jour. A ce cérémonial déjà complexe qui demandait une dextérité extrême s’adjoignaient des éléments en pâte à modeler, du sel, des maquettes en trois dimensions et d’autres trouvailles plus chiadées les unes que les autres. Pour vous donner une idée : « Voici une table avec une ouverture au centre qui est couverte par une vitre. Je prends du papier transparent sur lequel sont déposées les poupées qui doivent être très à plat. La caméra filme verticalement. Préalablement nous faisons des essais d’éclairage. Cela est très simple. Les moyens étaient assez rudimentaires et plutôt imaginatifs », oui plutôt, et déjà pas frime chère Lotte qui filmait dans une mansarde de Postdam !








Ce sont ces mêmes ombres grossissantes qu’affectionnaient aussi à l’époque les cinéastes expressionnistes, (Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, 1919 / Nosferatu le vampire de F. W. Murnau, 1922 / Dr. Mabuse de Fritz Lang, 1922)…, que Francis Ford Coppola au tout début de son film « Dracula » utilisera sur le champ de bataille de son écran. Jean Renoir ne s’y était pas trompé lorsque affectueusement il surnommait Lotte Reiniger : « La maîtresse des ombres ». Ah ! cette fidèle amitié entre Jean et Lotte ne se démentira pas. C’est elle et son équipe qui concevront la séquence du théâtre d’ombres du film La Marseillaise de Renoir !
Lotte est d’abord une plasticienne avant de s’afficher cinéaste. Comme ses collègues du mouvement Dada ou issu de l’expressionnisme, elle déclara la guerre ouverte au classicisme et vaqua à ses occupations de créatrice dans une optique ouverte aux nouvelles techniques expérimentales d’avant-garde en Allemagne des années 1920. Il n’y a qu’à voir l’entrée en matière avant-gardiste du film dans la fusion des formes abstraites pour s’en convaincre. Tout est mouvement des corps dans une chorégraphie orchestrée par la musique de Wolfgang Zeller qui collait son tempo à l’image.





Tout comme Murnau et Lang, elle intégra les cultures et traditions artistiques de pays très différents. Le prince Ahmed voyage au grand partage des arts islamiques, juifs, japonais, chinois dont les dessins évoquent la calligraphie arabe…. Tout comme la fameuse œuvre littéraire des Mille et un nuits dont il s’inspire au fil du récit où les chapitres en provenance d’Egypte, de Perse ou de Bagdad ajoutaient leur petit grain de sel et ne manquaient assurément pas de zèle.
L’histoire toute simple en cinq actes est semée d’embûches pour ses héros :
Il était une fois… Dans la ville du calife… Un jeune prince Ahmed… Qui s’envole sur un cheval volant… Et atterrit au pays lointain de Wak-Wak. Là il tombe amoureux de la belle Pari Banu. Mais il doit affronter son plus terrible ennemi : Le Mage africain….









Ce film n’aurait jamais vu le jour sans cette équipe soudée autour de Lotte Reiniger, Carl Koch à la prise de vue qui deviendra son mari, Berthold-Bartosch aux effets spéciaux et Walter Ruttmann pour les arrières fonds qui étaient manipulés séparément des personnages ! Rien que ça !
Un grand merci à vous tous.









La merveilleuse Hanna Schygulla, le Bartos avait admiré le regard et la voix charmeuse de la belle comédienne sur scène de la Ferme du Buisson, qui prêtait le timbre et son accent français craquant lors du spectacle intitulé Elle ! Louise Brooks, autour du film muet Journal d’une fille perdue. Louise l’insoumise et Hanna l’égérie du regretté Rainer Werner Fassbinder réunies, vous ne pouvez pas imaginer l’émotion…. C’est encore Hanna la belle qui offre sa tonalité aux différents personnages des Aventures du prince Ahmed dans la version française et pour celles et ceux qui apprécient la lecture de l’allemand, une version sous-titrée en français vous est aussi proposée.





Petit clin d’œil au cinéma d’animation actuel, Michel Ocelot, créateur entre autre de la saga des Kirikou, je ne pense pas que ce soit un hasard s’il reprenait la technique de Lotte Reiniger dans son film Princes et Princesses, technique qui lui était imposée par manque de budget.
Si j’égratigne volontairement Walt Disney dans l’intro de mon article, c’est que ce dernier n’a jamais eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître qu’il avait carrément copié Lotte dans la scène de Merlin l’enchanteur où Merlin affronte Madame Mime. Chez Lotte Reiniger, il s’agissait du combat à mort entre le mage et la sorcière pour entrer en possession de la lampe merveilleuse. Ces deux personnages scandent sur le pouce une danse de la transformation qui passe de vie à trépas, du serpent au rapace ou autres créatures marines du monde des fantasmagories.





Les Aventures du prince Ahmed, un chef d’œuvre désormais plus en péril puisque gravé en DVD selon un nouveau master restauré. Soit 66 minutes époustouflantes tant dans le rendu de l’image que le récit fantastique nous est offert à partager par toute l’équipe de Lotte Reiniger. Cette femme digne et émancipée dans son art ne courba jamais l’échine devant les nazis. Le couple Reiniger / Koch proche en amitié de Bertolt Brecht s’exila en 1936 à Londres où Lotte fonda sa société cinématographique : la Fantasia.
Même si quelques-uns la considèrent comme une créatrice presque naïve de part son œuvre qui tournait autour de contes et musiciens connus, il n’empêche son travail et son ouverture au merveilleux avec les maigres moyens matériels qui étaient les siens ne démentent pas son originalité, sa singularité et son perpétuel chemin en recherches appliquées dans son processus d’innovations, mis en forme de ses seules mains avec du papier et une paire de ciseaux. CHAPEAU !
Ne manquez pas non plus les suppléments proposés qui sont tous aussi intéressants que le film pour comprendre et s’immerger dans la création de Lotte à son époque.





Les aventures du prince Ahmed de Lotte Reiniger, film de silhouettes distribué par Carlotta Films, depuis le 19 novembre 2008





DVD collector : le film version française racontée par Hanna Schygullla ou le film sous-titré en français.





SUPPLEMENTS : Ahmed, vision d’occident (19 minutes) par Hervé Joubert-Laurencin / L’art des silhouettes de Lotte Reiniger (1970 – couleur et noir et blanc – 15 minutes) / + 5 courts-métrages de Lotte Reiniger de 1928 à 1956 / inclus : un livret de 16 pages inédit et très documenté





DVD coffret collector limité 2 DVD
DVD 1 : idem film et suppléments
DVD 2 : Hommage à l’inventeur du film de silhouettes (1999 – couleur et noir et blanc – 59 minutes), un film de Katja Ragannelli. Un documentaire d’exception retraçant l’ensemble de la carrière artistique de Lotte Reiniger. / + 13 courts-métrages de Lotte Reiniger de 1928 à 1956 / inclus : 1 supplément caché, du style cartes postales, poster, albums de coloriage et crayons de couleur…







Aucun commentaire: