vendredi, décembre 05, 2008

« Allemagne, mère blafarde » : le destin sans concession d’une jeune mère courage sous les couleurs de la cinéaste Helma Sanders-Brahms







« Allemagne sœur blafarde, tes enfants veulent vivre, comment faire pour vivre en coupant ses racines ? Est-ce qu’on peut oublier ? L’oubli n’existe pas. Est-ce qu’on peut comprendre ? Savoir ne suffit pas. Pour vivre il leur faut reconnaître leur mère. Pour grandir dans son ventre, surgir du chaos. Tes yeux blancs révulsés ne connaissent plus les larmes. Ton ventre a mis au monde ta propre exécution ». (François Béranger in « Allemagne », album « Exterminator, 1992).


Une simple et banale histoire d’amour au demeurant entre Hans un scribouillard pas encarté au parti nazi et Lene une jeune femme qui aspire à la pureté de l’âme. Sous le ciel plombé des années 30, ils se marièrent et il y eut la guerre. Entre eux, le front de Pologne se gela les pognes et les repères de l’homme battirent la savate. Sous les bombes, Lene donna naissance à Anna. Lors de ses rares permissions l’homme et la femme devinrent presque des étrangers. Lorsque la maison s’écroula, la mère et l’enfant prirent le chemin de l’exode. Le climat s’érodait. L’Allemagne tapinait sur un champ de ruine.
Lene survécut à toutes les sortes de souffrances dues à la barbarie des hommes en uniforme, dans ce monde peuplé de « L’histoire des femmes qui ont fait que la vie continue, pendant qu’on occupait les hommes à tuer » (Helma Sanders-Brahms). Elle se dévisagera en fin de parcours une mine effacée, blasée par son existence, sans autre amour que celui de sa fille.






Helma Sander-Brahms filme avec ses tripes comme s’il s’agissait de son histoire à elle. Elle naquit en 1940. Telle Anna, elle est une enfant de la guerre. Cette cinéaste est en verve. A 29 ans, ce sera le déclic. Après une rencontre avec Pier paolo Pasolini lors du tournage de Médée, elle rentra précipitamment au bercail. Elle jettera la bague de fiançailles de son amoureux, lui crachant à la tronche sa liberté de créatrice : « Je vais faire des films. L’art est possessif ; quand on se mêle d’art, il vous absorbe. Il faut tout lui donner, tout, tout ». Cet art, son art atteint des proportions à la limite du documentaire Il y a ainsi cette scène mémorable entre un môme en loques de l’époque à la recherche de ses parents qui dialogue avec Lene dans un jeu de champ contre champ, si bien que l’on ne sait plus si l’on se situe encore dans la fiction. C’est aussi dans la seconde partie du voyage au bout de la nuit et du brouillard que Lene effacée, timide révèle sa part d’ombre : « Plus ça va mal plus je chante » Une coccinelle apprivoise son doigt à l’annonce sur les ondes du Führer qui ne fait plus fureur. Parvenue avec Anna à Berlin dont il ne reste presque rien, Lene se compare à des sorcières sur les toits. Dans les moments de disette et de scories climatiques hypothermiques, elle récite en boucle à sa fille un conte des frères Grimm peuplé d’assassins raffinés. Anna ne s’apitoie pas plus que cela sur un cadavre en décomposition. Sa curiosité enfantine l’emporte. Elle dit à sa mère « Je veux voir ». Les usines désaffectées qui leur servent de refuge dressent deux grandes cheminées qui ressemblent à d’autres, de sinistre mémoire






Helma Sanders-Brahms donne à voir, avec l’optique de toute une génération fameuse de cinéastes allemands des années 70 qui voulurent comme elle, crever l’abcès du poker menteur qui consistait à se voiler la face en famille sur les moments les plus macabres et destructeurs de l’histoire allemande. Ce sentiment de culpabilité, l’écrivain Horst Krüguer auteur du titre emblématique « Un bon Allemand » (1976), l’exprime parfaitement : « Je suis un fils typique de ces allemands inoffensifs qui n’ont jamais été nazis, mais sans qui les nazis ne seraient jamais arrivés à leurs fins ». Du constat de cette relation ambiguë avec la mère patrie (Vaterland), nom neutre en allemand, Helma Sanders-Brahms rend un vibrant hommage à sa mère biologique : « Mon histoire est celle d’un conflit entre mère Allemagne, le pays où je suis née qui sème alors partout la guerre en Europe, et une femme que j’aime, ma mère Lena qui a traversé son époque avec un courage extraordinaire ».
Un coup de chapeau à son héroïne interprétée de façon magistrale par Eva Mattes.
« Allemagne, mère blafarde », un film où ne souffre aucune poussière dans l’œil de Lene et, qui en guise de rides, prône l’autonomie des femmes dans la vie quotidienne vis-à-vis des hommes, y compris en temps de guerre et en temps de paix.
Sortie au cinéma le 10 décembre 2008 avec des copies neuves, le film d’Helma Sanders-Brahms qui date de 1980 est une œuvre majeure d’autobiographie fictive dédiée aux femmes, pour ainsi dire seul rempart à la folie meurtrière de « quelle connerie la guerre » des hommes.

« Allemagne, mère blafarde » (1980), durée 2 h 05, réalisation et scénario : Helma Sander-Brahms avec Eva Mattes, Ernst Jacobi, Anna Sanders, distribué par Carlotta Flims

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