vendredi, novembre 28, 2008

« Contaminations » dans l’édition !


Je viens juste de relire le recueil de nouvelles de Fred Romano intitulé « Contaminations » publié en 2000. Non seulement, j’ai le sentiment que tous les textes contiennent des réponses à nos interrogations sur la santé publique de notre planète pas si nette, mais que son auteur, outre le fait d’écrire avec brio a du singe. Elle me rappelle par certains points de caractère Lisbeth Salander l’héroïne des trois tomes de Millénium de Stieg Larsson. Sa révolte, la force de sa rébellion dans ses actes, son amour de la vie concourent à l’entendre s’expliquer en toute liberté sur ce qui fut une arnaque manifeste à son encontre, de la part de son éditeur.

Tout de go dans l’intro Fred vous met en garde dans un « Avis important » : « Contaminations peut nuire à votre santé. (…) La manipulation de ce recueil en dehors des normes de sécurité peut avoir des conséquences imprévisibles sur votre santé mentale et / ou physique ». (page 7) (…) « Par ailleurs, il existe des contaminations positives : amours, métissages, croisements, qui se nouent elles aussi dans une perspective contemporaine, historique. Mais les contaminations contemporaines leur laisseront-elles le temps de croître et de s’épanouir ? » (page 9)
Une galerie de héros hors norme nous scotche les pognes au recueil de nouvelles. Un couple éclairé se confond d’amour. Simone trisomique et Emile homme chien errant sur fond de bavure nucléaire en bord de Loire. « Un véritable rayon de soleil » tu parles Carl, j’entends Higelin me beugler « Irradié ».
« Le borgne » et Vacherie » de bovidés starbés s’enchaînent. Chienne de vie ! Ils sont partout : « comment priver les diabétiques de la miraculeuse insuline bovine, ou refuser aux enfants la protection des vaccins, dont la plupart contenaient des produits bovins ? (…) Sans parler des détergents, des savons, des bonbons. » (page 85). Macachete, la journaliste pigiste va jusqu’au bout de l’enquête et ne se fait pas que des amis ! Macachete, l’héroïne, je la ressens comme la grande Fred qui écrit en perpétuelle veille documentaire scientifique (voir son blog). Visionnaire, elle se bagarre depuis son île de Formentera pour nous ouvrir les quinquets obscurs. Tous les moyens sont bons. La littérature, ses dessins, ses photos, ses films, ses textes sur son blog et sa faculté de transcender à travers les mots de ses nouvelles, ce pour quoi nous autres ignares allons toutes et tous clamser, générations futures comprises si nous nous crevons les yeux à demeurer dans l’obscurité, la Raison en berne !
« Si j’étais écrivain, je dirais qu’il s’agit d’une bombe à retardement, que la Nature a installé dans notre organisme dès les premiers temps de l’Evolution, afin de pouvoir se débarrasser de l’espèce gênante en temps voulu, ha ha ha ! Mais je suis scientifique. Ma mission est de comprendre, pas d’imaginer. » (page 99) / « Un journaliste n’est pas là pour dire la vérité quand les gens ne sont pas prêts ! On ne peut pas brusquer les lecteurs, il faut juste leur indiquer des choses, c’est comme en littérature ». (page 103).
Et à tombeau ouvert, vous ne lâchez plus le livre. Les histoires s’égrènent : « La vie n’est pas facile », « Un toit », « Maux d’été », « Maudite camomille », « Le serment », « Une goutte d’eau dans l’océan des larmes ». Vos gants de protection, votre masque à gaz jouent la débandade. Vous peinez à respirer. Votre rythme cardiaque s’intensifie. C’est bon signe, l’indifférence ne vous persifle pas encore la pestilence. Les cieux de plomb, les rivières de mercure, les lits d’amiante n’auront pas eu votre peau.
Interloquée, j’ai voulu en savoir plus auprès de son auteure visionnaire avertie, histoire de percevoir si encore une fois la réalité dépassait la fiction !

La Singette : Tu peux nous indiquer dans quel contexte tu as écrit « Contaminations » et quelles étaient tes sources du moment ?

Fred Romano : Après le succès de mon premier livre en 2001 "Le film pornographique le moins cher du monde", ou comment récupérer une grande histoire d'amour, je me suis dit que le recyclage devait atteindre des sommets littéraires. En tant que journaliste, j'avais eu le privilège de m'intéresser très tôt (dès 1991) à la maladie de la vache folle. A l'époque, les quelques rares scientifiques qui consacraient leur vie au sujet étaient très ouverts aux communications avec les journalistes. Ayant une petite formation scientifique (un de mes avatars a été laborantine en immunologie plaquettaire au CNTS), je pus comprendre la portée de leurs découvertes (comme Prusiner qui dès 1976 proposa le mode de reproduction du prion, une aberration biologique). J'étais alors très jeune, je croyais encore au journalisme comme une sorte d'ordre humanitaire et j'étais persuadée que le rédac' chef d'Actuel serait époustouflé par mon enquête. En effet, avec un budget de misère, j'avais réussi à enquêter dans le monde entier, allant jusqu'à détecter des chargements de farine animale en provenance de Grande-Bretagne à destination d'Israël, d'Arabie Saoudite et de Thaïlande en 1992, en dépit de toutes les lois européennes (entre autres). Le rédac'chef (JF-Bizot) fut effectivement époustouflé mais sa réponse fut un "non" absolu et une mise à pied consécutive. Par la suite, je parvins à mieux cerner le problème, ayant vendu l'enquête à nombre médias, tels Libération, VSD, la Marche du Siècle, celle-ci fut payée mais ne fut jamais publiée. En effet, Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, fit passer une circulaire aux Etats membres fin1992, recommandant "de faire en sorte que l'information sur la maladie de la vache folle ne soit pas diffusée". J'en conçus une telle frustration que j'appris le langage de programmation afin de pouvoir publier moi-même cette enquête sur Internet. Le site existe toujours, enfin une version espagnole: http://www.telefonica.net/web2/worldwindows/bse/intro.htm , visité par le monde entier. Puis je décidais, lancée dans la littérature, de recycler cette aventure dans un recueil de nouvelles. Il était clair dès 2001 que la contamination serait un sujet dont on parlerait dans un futur très proche. J'estimais le sujet porteur, et même vendeur. Je me trompais lourdement.

La Singette : Comment ton livre d’une actualité brûlante a-t-il été perçu et est-ce que ton éditeur a bien fait son boulot de promo ?

Fred Romano : La réponse est un non absolu. Ce recueil de nouvelles a été proprement abandonné par son propre éditeur, lequel n’a pas même respecté notre contrat au niveau de la promotion de l’ouvrage ou du tirage minimum. La raison en est simple. Mon éditeur, Maren Sell, bourgeoise très énervée qui prétendait avoir flirté dans son enfance avec la bande à Baader, parachutée a la tête des éditions Pauvert par la grâce d’un mariage avec la troisième fortune de France, avait mis la main sur un best-seller assuré, un livre qui allait tout faire flamber sur son passage et qui méritait tous les pourboires à tous les journalistes "littéraires" pour assurer sa promotion monolithique: les mémoires de Louana, star de l’émission de télé-réalité "Le loft". Evidemment le chef-d’oeuvre en question a eu le succès qu’il méritait: flop absolu, les lecteurs ne sont pas si cons comme les éditeurs se l’imaginent. Mais mon recueil de nouvelles sur une actualité brûlante est passé à la trappe. Malheureusement, je n’ai pas pu le défendre, car je suis tombée très malade et la sclérose multiple a bien failli m’envoyer brouter les pissenlits par la racine. J’ai eu la sottise d’en parler à mon éditeur, elle était trop ravie que mon propre destin dissimule à ce point ses erreurs et ses manquements professionnels.

La Singette : Actuellement qu’est devenu ton livre au niveau de sa distribution et quels rapports entretiens-tu avec ton éditeur ?

Fred Romano : Mon livre a tout simplement disparu des réseaux de distribution. Il n’a pas été promu. Seul un critique du Monde avait apprécié. A présent en 2008, j’ai racheté les 100 derniers exemplaires d’un tirage ridicule, sinon ils seraient partis au pilon. La dernière fois que j’ai vu mon éditeur, c’était en 2002 sur l’île de Formentera où je réside. Il parait que Formentera serait à la mode, et que les parisiens, à l’instar du Pécuchet de Flaubert, dépensent des fortunes afin de s’y faire voir. Donc, armée d’un éventail, Maren Sell, en somptueuse existentialiste, pérorait entre les stands du marché hippie de l’île, ou tous mes amis travaillent. Elle prétendait avoir écrit mon roman. Elle aurait été mon nègre, clamait-elle. A Formentera, il y a beaucoup d’artistes, qui sont habitués à ce que des producteurs frivoles tentent de récupérer leur dur travail et ils n’aiment pas du tout ce genre de prétention grossière. Donc ils lui ont fait savoir et elle a donc raté une occasion de ne pas passer pour la grosse truie mal élevée et sans scrupules qu’elle est.

La Singette : Quelles explications donnes-tu à propos de la haute trahison d’un éditeur envers son auteure ?

Fred Romano : C'est assez simple dans le fond, pour ne pas dire simpliste. Moi, je fais de la littérature, quelles qu'en soient les conséquences. Maren Sell, elle, prétendait faire de l'argent avec la littérature. Ta question, c'est un peu comme si tu demandais des comptes aux agriculteurs pour la baisse ou la hausse des matières premières, alors qu'elles sont orchestrées par des traders et autres boursicoteurs, qui n'ont rien à voir avec la culture. La littérature, comme beaucoup d'autres choses, est tombée aux mains de ceux qui sont avides d'argent. C'est pourquoi il ne reste guère de talents. L'éditeur est devenu un homme d'affaires, il a totalement perdu sa vocation première, qui était de publier dans le sens de prendre des risques, dans le sens de défendre, dans le sens d'être fidèle à soi-même. Le rapport privilégié à l'écrivain s'est transformé en une légende que l'on ne respecte que dans le seul but de s'acheter une conscience.

Photo d’illustration de Fred Romano
« Contamination » de Fred Romano, éditions Pauvert / septembre 2000



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