jeudi, novembre 06, 2008

Araki, le voyage sentimental sous l’optique obscène du mâle


Le vif succès que remporte le photographe nippon Nobuysoshi Araki auprès du public occidental provient de l’instinct immodéré pour un certain Japon aux clichés exotiques, peuplés de poupées brunes soumises s’offrant à l’objectif dévastateur du créateur et son double je. Araki se joue de la censure qu’insupporte pourtant la vision de vulves à l’ombre des jeunes filles en fleur, qui goûtent à l’occasion au mordant des cordes sensibles, selon les lois de la gravitation et la suspension des corps en apesanteur, plongeant les jouvencelles dans un délicieux sourire parodiant l’extase plus que l’effroi. Selon sa propre interprétation : « Les cordes sont comme des caresses, elles enlacent le modèle comme le feraient mes bras. (…) Je ligote le corps des femmes parce que je sais que je peux ligoter leur âme. Seul le physique peut être noué. Lacer des femmes revient en quelque sorte à les embrasser » (page 136). Ouais ! En tant que femelle qui se respecte, je ne suis pas du tout convaincue de son argument, d’autant que l’on entend ou ne lit jamais les commentaires des modèles en personne.
Philippe Forest, l’auteur de cet ouvrage érudit lorsqu’il donne la parole à Akihito Yasumi pour répondre à mon attitude perplexe sur la question, lève le voile sur l’un des nombreux mystères du créateur : « Araki lui, quand il photographie, devient femme, et se contente de « dupliquer » avec un regard de délicatesse, exemptant d’emblée la superficialité de la relation et l’impossibilité de comprendre. Autrement dit l’appareil photographique d’Araki est un dispositif de l’ordre d’ « un sexe de femme jouant le rôle d’un phallus ». (page 138)
Araki s’est aussi intéressé aux prostituées et à la transcendance des mœurs libérées des inhibitions sexuelles. Ses prédispositions, pour rendre l’instantané de la réalité des corps en fusion, il le doit au prolongement de son regard sous l’optique de son appareil photographique qui l’obsède depuis sa prime enfance : « J’ai pris des photographies depuis que je suis venu au monde. J’étais à peine sorti du ventre de ma mère que je me retournai et photographiai son sexe. Photographier est la première chose que je ferai lorsque je me réincarnerai ». (page 32)
Loin de lui l’idée d’enfermer son sujet Araki dans un unique carcan des représentations de l’obscène, Philippe Forest, riche de sa culture japonaise nous ouvre les œillères à d’autres intentions que celles convenues. Le romancier en images, Araki dans son roman du je, déclenche et mitraille sa présence à l’immanence de son autographie. Né en 1940 à Tokyo c’est au chapitre premier de son existence salariale en tant que « créatif » dans une boîte de publicité qu’il rencontre Yoko qui deviendra sa femme et avec laquelle il se mariera en 1971. De cet amour, il en éclora « Un voyage sentimental ». « C’était notre vie » déclara Araki. (page 67) En 1990, à la mort de cette dernière, il se réfugiera en images dans le ciel, la tête dans les nuages.
Araki est passé par différentes phases de création, touchant l’inspiration néoréaliste du cinéaste Rossellini en traversant sa Tokyo ville ouverte se remettant à peine du cataclysme de la guerre. Il atteindra même les arcanes de ce qu’il appelait « Le sursentimentalisme », clin d’œil non feint à la bande à Breton, ce que Philippe Forest nous traduit avec ses mots à lui : «Le sursentimentalisme est au sentimentalisme ce que le surréalisme fut au réalisme : il le dépasse et l’accomplit. L’obscène d’une vision irrecevable devient le lieu même où se loge la preuve la plus tendre et la plus pure de l’amour sublime ». (page 71)
Plusieurs centaines de photographies d’Araki ont été éditées dans différents ouvrages, sans compter les expositions qui lui furent consacrées. Toutes mettent en valeur ses différentes techniques et expressions opérées au fil de son oeuvre (photo, peinture, dessin, écriture...).

Philippe Forest nous ouvre les champs magnétiques d’investigation des différentes facettes de l’artiste hommenibulé par la bijin : la beauté féminine, puisque selon Araki : « Un photographe qui ne photographie pas de femmes n’est pas un photographe, ou alors seulement de troisième ordre ». (page 128)
Philippe Forest propose « une rêverie romanesque en 31 images et 217 notations », (page 7) et comble tout bonnement notre saine curiosité de la première à la dernière page de son ouvrage. Il se fixe une telle exigence et promeut son intelligence de mettre enfin à notre portée ce voyage salutaire au pays du soleil levant, auprès de l’artiste Araki pour le moins singulier dans ses démarches artistiques et ses rapports aux femmes quant à la retranscription en images de sa sentimentale obscénité.


Philippe Forest : Araki enfin. L’homme qui ne vécut que pour aimer, Gallimard collection Arts et Artistes, 160 pages, 31 illustrations, 25 euros, septembre 2008

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